Joseph-Noël Rancourt



Le premier Rancourt en Amérique



Joseph-Noël Rancourt est l’ancêtre commun des Rancourt en Amérique. Il est né dans la ville de Caen en France vers 1658. Sa mère, Jeanne-Claude de Boisandré, avait épousé à Caen un dénommé Pierre de Rancourt. Joseph-Noël serait l’unique enfant de cette union. On sait peu de choses sur Pierre de Rancourt. La particule « de » dans son nom serait vraisemblablement liée à son lieu de naissance plutôt qu’à un titre de noblesse. La commune de Rancourt dans le département de la Somme est située à 300 kilomètres de Caen et pourrait potentiellement être son lieu de naissance ou celui de l’un de ses ancêtres. Il existe aussi une autre commune de Rancourt dans le département des Vosges (à 600 km de Caen).





La commune de Rancourt dans le département de la Somme



L’histoire des Rancourt en Amérique débute avec l’arrivée au Québec de Catherine de Boisandré, la tante de Joseph et sœur aînée de Jeanne-Claude, en 1663. Elle fait partie d’un des premiers contingents de Filles du Roy débarquant en Nouvelle-France. Les Filles du roi (ou « Filles du Roy », selon la graphie de l'époque) sont des jeunes femmes (environ 800) envoyées en Nouvelle-France sous la tutelle du roi Louis XIV, entre 1663 et 1673, pour s'y marier, y fonder un foyer et établir une famille pour coloniser le territoire. Celles-ci sont recrutées de façon volontaire. Ces femmes sont principalement issues de milieux pauvres et sont en quête de meilleures conditions socio-économiques. L’expression « Filles du Roy » sous-entend que ces immigrantes étaient les pupilles de Louis XIV et qu'à titre de protecteur, celui-ci suppléait aux devoirs de leur père naturel en veillant sur elles et en les dotant (merci wikipédia!). Catherine pris pour époux un dénommé Marc-Antoine Gobelin dit Cinq-Mars à Québec le 20 octobre 1663. Le couple s’établit par la suite à Saint-Laurent de l’île d’Orléans et demeura sans postérité.



En 1667, Joseph Rancourt et sa mère Jeanne-Claude vinrent rejoindre Catherine en Amérique. Jeanne-Claude était aussi une Fille du roi. Le décès de son mari Pierre de Rancourt l’ayant probablement laissée dans une situation économique difficile en France avec un enfant en bas âge. La première mention de Jeanne-Claude en Nouvelle-France est dans le recensement de 1667. Il y est mentionné qu’elle travaille comme servante chez sa sœur Catherine. Une autre source parle de son arrivée par bateau le 25 septembre 1667. On peut donc établir que le petit Joseph fit la traversée de l’Atlantique en bateau vers l’âge de 9 ans. Certainement toute une aventure pour ce petit garçon !





Jeanne-Claude et Catherine



Le 31 octobre 1667, Jeanne-Claude convola en secondes noces avec le dénommé Louis de Lachaise, un ex-soldat du régiment de Carignan-Salières. Ce régiment de 1300 soldats fut expédié en Nouvelle-France en 1665 pour combattre des tribus iroquoises qui attaquaient la colonie. La paix étant rétablie en 1667, près de 400 de ces soldats décidèrent de s’établir au Québec plutôt que de retourner en France. Il faut dire que le Roi de France leur avait fait offert des terres pour les inciter à peupler la colonie… et que des contingents de Filles du Roy étaient en route… Notre Louis ne profitera pas tellement de sa nouvelle vie, car on suppose qu’il décéda dans les semaines suivant ce mariage. Jeanne-Claude se remariera rapidement avec un certain Jean Létourneau le 15 janvier 1668. Il n’y aura aucun enfant issu de ces deux mariages et Jeanne-Claude va décéder en 1670 ou dans la première moitié de 1671 à Sainte-Famille sur l’île d’Orléans. Morte dans la trentaine, elle aura vécu moins de quatre ans dans cette rude Nouvelle-France.





Louis de Lachaise jouant du tambour



Déjà orphelin ou sur le point de l’être, Joseph Rancourt fit son entrée au Petit Séminaire de Québec en septembre 1670 à l’âge de 12 ans. Cette institution qui existe encore de nos jours fut fondée en octobre 1668 par Mgr François de Laval. Joseph fait donc partie des premiers étudiants à avoir fréquenté cet établissement. Le Petit Séminaire de Québec a pour vocation initiale, d'une part, d'éduquer des garçons en vue de les diriger vers la prêtrise et, d'autre part, de franciser de jeunes autochtones. Ce dernier volet est cependant rapidement abandonné. Jusqu'en 1677, les petits séminaristes logent dans la maison de Guillemette Couillard (veuve de Guillaume Couillard et fille de Louis Hébert), lieu exigu pour cette fonction. Aucun cours n'y est donné puisque les élèves reçoivent leur enseignement à proximité, au collège des Jésuites. Les étudiants y sont pensionnaires et ne peuvent donc retourner à leur famille, même lors des vacances. Dans un futur lointain, un descendant de Joseph Rancourt sera aussi pensionnaire dans un séminaire et recevra une éducation des Jésuites.



Joseph passera près de cinq années au Petit Séminaire et le quittera en avril 1675 « pour cause de maladie ». Il retourna probablement vivre chez son beau-père Létourneau ou chez sa tante Catherine. En mars 1679, il obtenait du Conseil souverain de la Nouvelle-France ses lettres d’émancipation et fut jugé capable d’administrer ses biens. En 1680, il obtint sa part d’héritage de sa mère après quelques tractations juridiques avec son beau-père et l’intervention d’un prêtre du Séminaire de Québec.





Le Petit Séminaire de Québec vers 1688



En 1681, Joseph fréquenta une jeune dame de 21 ans de Château-Richer du nom de Marie Cloutier. Un contrat de mariage fut même signé devant notaire le 16 mars… pour être ensuite résilié devant ce même notaire quatre jours plus tard ! Que s’est-il passé durant ces quatre jours ? Mystère. C’est à l’âge de 27 ans, en 1684, que notre Joseph réussira à se trouver une épouse. Marie Parent, veuve d’un certain David Corbin, déjà mère de quatre enfants et de trois ans son aîné devient sa compagne! La bénédiction nuptiale leur fut donnée à Beauport, lundi 5 février 1685, par le curé Étienne Boullard. Pourquoi Joseph, un jeune homme de 27 ans sans enfant, épousa-t-il une veuve déjà mère de quatre enfants plutôt qu’une jeune fille ? Difficile à dire. Un commentateur qualifiera Joseph « d’amant courageux » ! Une autre explication (totalement dénué de romantisme…) serait qu’il y avait encore assez peu de femmes dans la colonie à cette époque. Pour un jeune homme peu fortuné comme Joseph, les options étaient peut-être limitées…



Parlant d’argent, il faut aussi mentionner que Marie Parent apporte l’héritage de son défunt mari David Corbin au patrimoine familial… En mars 1685, Joseph et Marie (l'histoire prend un tournant quasi biblique!) louent d’ailleurs la ferme que Marie habitait avec son défunt conjoint à un certain Antoine Huppé. On ne sait pas si le bœuf et l’âne sont inclus dans cette location qui leur rapportera 35 livres par année. Cette propriété est située dans le « Petit-Village », une petite agglomération à la croisée des chemins reliant Beauport à Charlesbourg.



Un mois plus tôt, en février 1685, Joseph fit l’acquisition d’un terrain sur la rue Sault-au-Matelot dans la basse-ville de Québec d’un dénommé Pierre Nolan. Il y fait construire une maison de deux étages avec cave et grenier. La rue Sault-au-Matelot existe encore de nos jours entre les rues St-Paul et Côte de la Montagne. Son beau-frère, André Parent, devient son voisin en 1687 en y faisant ériger une maison semblable. Pourquoi s’intéresser à ce beau-frère ? C’est que grâce à ce blogue, nous pouvons déterminer que ces deux maisons correspondent à peu près à l’emplacement actuel de l’hôtel 71. À partir de 1688, Joseph louera cette maison à différents individus, ajoutant un autre revenu d’appoint. Le couple Rancourt-Parent semble préférer la tranquillité du Petit-Village où ils retournent vivre pour de nombreuses années. Joseph possédera plusieurs propriétés dans ce Petit-Village. L’actuelle avenue Rancourt dans l’arrondissement de Beauport est nommée en son honneur.





La rue Sault-au-Matelot



En dehors de la location de propriétés, Joseph gagne sa vie en exerçant le métier de boucher dans les premières années de sa vie adulte (dans les années 1680). Par la suite, il sera surtout connu comme maître charpentier spécialisé dans la réfection d’embarcation. Ce sont des contrats notariés liés à des achats d’animaux et des réfections de barque qui permettent d’établir son parcours professionnel.



Son union avec Marie Parent durera 15 ans jusqu’au décès de celle-ci en décembre 1700 à l’âge de 45 ans. Ils auront 9 enfants, dont 4 qui décéderont en bas âge (Jeanne, Joseph, François et Geneviève). Les 5 enfants ayant atteint l’âge adulte sont Angélique-Catherine (Jean Mongeau), Marie-Angélique (Jean Laforest), Claude (Catherine Blanchon, Anne-Marguerite Turgeon), Jean-François (Louise Poulin, Marie-Claire Jodoin) et Marguerite (Pierre Normandeau).



Marie Parent laissera aussi dans le deuil les 4 enfants de son union précédente avec David Corbin (Marie-Anne, Pierre, André et David). Le partage de l’héritage semble avoir causé bien des démêlés entre Joseph et les enfants Corbin. Un notaire du nom de Louis Chambalon finira par tirer les choses au clair. C’est la deuxième chicane d’héritage que vit notre Joseph, mais cette fois-ci, c’est lui qui est dans le rôle du beau-père…





Le notaire Chambalon au travail



Devenu veuf à 42 ans, Joseph va se remarier avec une jeune fille du nom de Françoise Daveau. La demoiselle de Neuville a seulement 21 ans, la moitié de l’âge de son futur époux. Leur mariage est célébré le 18 septembre 1701 à Château-Richer par le curé Guillaume Gaultier. Françoise va accoucher de huit enfants entre 1703 et 1716. Malheureusement, les cinq derniers disparaîtront au berceau (Marie-Françoise, Pierre, Joseph, Marie et Claude). Les trois aînés qui atteindront l’âge adulte seront Charles-François (Françoise Duquet), Jean-Baptiste (Marie Aubertin) et Marie-Barbe (Joseph Pilote). Le joli prénom de Marie-Barbe tire peut-être son inspiration de Marie-Barbe d’Ailleboust, épouse d’un gouverneur général de la colonie et bienfaitrice de l’Hôtel-Dieu de Québec.





Photo de mariage de Joseph et Françoise



Le recensement de 1716 nous apprend que Joseph habite désormais sa maison de la rue Sault-au-Matelot avec Françoise et leurs quatre enfants encore vivants à ce moment. C’est le 21 mars 1719 que Joseph Rancourt va s’éteindre à l’âge de 64 ans. Il aura été père de 17 enfants dont 8 atteindront l’âge adulte. Ses quatre fils seront eux-mêmes pères d’un total de 22 enfants ayant atteint l’âge adulte. Cette abondante progéniture fera du nom de Rancourt le 452e patronyme en importance au Québec.



Quant à Françoise, elle va se remarier avec un dénommé Pierre Laforest le 7 avril 1720. Elle va vivre dans la maison de la rue Sault-au-Matelot jusqu’à la fin de ses jours. Elle s’éteindra en novembre 1759 à l’âge vénérable de 87 ans ! Fait remarquable, les dernières semaines de sa vie seront marquées par la fin du régime français suite à la bataille des plaines d’Abraham le 13 septembre 1759. Ainsi se terminera l’histoire de la première génération des Rancourt en Amérique, marquée par près d’un siècle de péripéties allant du premier débarquement de Filles du roi à la défaite des plaines d’Abraham!





Je meurs. Tant mieux, je ne verrai pas les Anglais à Québec - Montcalm





Moi aussi, je dételle - Françoise Daveau





Ce texte a été rédigé par Philippe Rancourt (philippe@rancourt.org). Il s’inspire principalement du texte de Gérard Lebel sur Joseph-Noël Rancourt tiré du volume 23 de son ouvrage, Nos Ancêtres, pp. 133-145. Je vous invite à lire ce texte si vous désirez en savoir plus sur la vie de Joseph Rancourt.


Généalogie de Joseph-Noël Rancourt sur le site nosorigines.qc.ca



P.S. L'auteur admet avoir pris quelques libertés avec les légendes de certaines illustrations...